En quoi êtes-vous complémentaire ?
Gauthier : Nous sommes très complémentaires en termes de background. Pour ma part, j’ai géré le premier fonds, ScaleFund I, de A à Z avec Claire Munck qui est la Managing Partner. A l’époque, j’étais également à mi-temps sur BeAngels, un réseau de business angels qui finance des projets early stage *. Cela m’a permis, outre mes compétences financières, de très bien connaître l’écosystème seed* belge et de coacher des entrepreneurs. Etant donné que ScaleFund I avait déjà fait des exits, cela m’a permis d’avoir une très bonne vision du early stage, du sourcing de projets jusqu’à l’exit.
Alexandre : J’ai travaillé pour de grands holding familiaux belges et des fonds d’investissement parisiens, sur des transactions de toutes tailles et toutes géographies. J’ai donc une expérience plus late stage et un regard plus stratégique et financier.
Gauthier : Quant à Claire, elle a d’excellents réflexes et une expérience incroyable dans le métier. Mais surtout, elle dispose d’un réseau mondial dans l’investissement. Elle ouvre des portes assez facilement sur le marché européen et nord-américain par exemple, pour s’internationaliser.
* Early stage : Le terme early stage regroupe toutes les start-ups et projets qui en sont au stade de leur première levée de fonds.
* Le seed c’est le premier vrai tour de table.
Pouvez-vous expliquer ce qu’est un fonds d’investissement et en quoi c’est différent des business angels ?
Alexandre : La grande différence c’est que le business angel est une personne qui dispose d’un peu de temps à accorder aux startups dans lesquelles il investit. Alors qu’à l’inverse, les personnes qui investissent leur argent dans des fonds sont complètement passives. Dans le cas de ScaleFund, c’est notre équipe et le Comité d’Investissement qui prennent les décisions d’investissement.D’autre part, le business angel investit à une relative petite échelle par rapport aux moyens des fonds, que ce soit en termes de montant ou de temps investi.
Gauthier : Le business angel est beaucoup plus early stage, et a une approche « believer ». A savoir : il croit en une équipe car il n’y a quasi pas de produit et seulement un Power Point. ScaleFund entre dans des projets qui ont une traction commerciale prouvée, une équipe stable, un product market fit défini. Nous entrons plus dans une phase d’accélération que d’itération.
A quel moment faut-il s’adresser à un fonds d’investissement ?
Alexandre : Il y a beaucoup de fonds d’investissement et chacun a sa manière de procéder. Il faut bien regarder la stratégie de chacun et trouver le fonds qui correspond au stade de sa société. Ce que je conseille, c’est de savoir ce que le fonds d’investissement attend de vous pour trouver le bon partenaire. Par exemple, ScaleFund s’adresse à des sociétés qui ont déjà commis leurs erreurs de jeunesse, qui ont éventuellement déjà pivoté et qui cherchent des fonds pour accélérer leurs ventes et/ou se structurer pour s’internationaliser.
Gauthier : Il n’est jamais trop tôt pour parler avec un fonds d’investissement. Nous aimons rencontrer les entrepreneurs le plus tôt possible et faire des touchpoints réguliers avec eux. De cette manière, nous pouvons voir comment les projets évoluent. Cela peut faire toute une différence dans la rapidité de la levée de fonds. Si tu fais régulièrement des update avec les fonds et que tu discutes avec eux, tu peux plus facilement closer (lever des fonds). Cela te permet également d’obtenir un feedback informel sur ce qu’ils veulent voir, quels KPI ils attendent et de bien te préparer afin de ne pas être hors sujet quand tu t’adresses une première fois à un VC.
Quels types de projets vous intéressent ?
Alexandre : Nous sommes volontairement assez large et généralistes dans le type de projet que l’on finance. Nous avons déjà financé des projets hardware et software, certains projets plus early, d’autres plus avancés au niveau des ventes… Ce que nous recherchons c’est une équipe stable et compétente ainsi qu’un produit qui répond à un besoin du marché prouvé. Mais nous n’avons pas de terme strict concernant le revenu ou la taille. On cherche toutefois des projets qui sont complémentaires au portefeuille que l’on a déjà.
Gauthier : Je dirais même qu’on cherche une excellente équipe avec un produit déjà déroulé et qui est en phase d’accélération. Le fait que l’on soit adossé à BeAngels nous permet d’avoir accès un pool d’experts qui peuvent aider dans les Conseil d’Administration ainsi que dans les due diligence. Nous sommes généralistes mais experts dans la phase dans laquelle on investit. On aide à revoir le pricing, la stratégie go to market, comment s'internationaliser, comment accélérer, sensibiliser à ce que les prochains fonds vont demander pour la prochaine levée de fonds, etc. C’est çà notre expertise.
Comment accompagnez-vous les scale-up ?
Gauthier : On se veut actif et nous demandons systématiquement une place au Conseil d’Administration. Il n’est pas rare que l’on participe à un workshop dans une boite, que l’on passe du temps à revoir le business plan, que l’on participe à des négociations clients ou avec les banques. Il nous arrive même d’être présent en première ligne dans les négociations de sortie. Nous n’avons pas la volonté de remplacer les entrepreneurs, ils sont surement meilleurs que nous, mais si on nous demande d’aider, nous le faisons avec plaisir.
Alexandre : Nous sommes en contact au minimum une fois par mois avec tous les entrepreneurs de notre portefeuille, que ce soit par téléphone, mail ou en face à face, en plus des Conseil d’Administration.
Les projets dans lesquels vous avez investi se portent bien ?
Gauthier : ScaleFund I a commencé en 2017 et à l’été 2021 on avait exité trois sociétés sur six. Cela démontre que la thèse d’investir environ deux à trois ans après les business pour faire des exit tient la route.
Alexandre : Avec ScaleFund II nous avons pour ambition d’investir dans une dizaine de projets. Nous approchons par ailleurs de la fin de notre période d’investissement. On devrait lancer un nouveau fonds dans les 12 prochains mois. On a investi dans des dossiers qui fonctionnent bien, comme Passbolt (élue la meilleure societé de cybersécurité en Europe), projet dans lequel des membres de BeAngels ont également investi. Il y a également Moonbird et Naki qui fonctionnent bien, ils ont terminé leur prototype et sont venus nous chercher pour accélérer leurs ventes. Notre particularité est que nous créons une relation assez forte avec nos co-investisseurs et il n’est pas rare qu’on viennent nous chercher pour d’autres dossiers.<
Gauthier : Plus récemment nous avons financé un projet qui était rapporté par une scale-up de notre portefeuille. C’est génial car cela montre que le fonds à une réel plus-value auprès des entrepreneurs.
Comment analysez- vous les potentielles opportunités d’un projet ?
Alexandre : Nous prêtons attention à la qualité de l’équipe et à sa capacité à s’adapter à son marché. On regarde également si l’équipe est encline à écouter et à recevoir du feedback. Il faut également que la solution proposée ait une véritable valeur ajoutée et une différenciation importante par rapport à la concurrence ou solution déjà existante.
Gauthier : Pour rebondir là-dessus, nous recherchons des projets avec un potentiel de croissance rapide ainsi que des équipes qui pensent à l’international depuis le jour un.
Alexandre : J’ajouterais également que nous sommes attentifs à la capacité des équipes à créer des économies d’échelle.
Quelles sont les tendances du marché à l’heure actuelle ?
Alexandre : Pendant un certain temps il y avait pas mal d’argent disponible sur la table, avec une compétition accrue à tous les niveaux. Étonnamment, le covid n’a pas forcément freiné cette tendance. Pour autant, cela n’a pas spécialement été bon pour les startups car beaucoup d’entre-elles ont été mises sous respirateur. Aujourd’hui, avec le retour de l’inflation et le climat anxiogène, l’environnement économique est beaucoup plus difficile. On constate que les vannes se sont resserrées. On se retrouve dans une situation où la croissance à tout prix laisse place à une vision sur la rentabilité rapide. Il sera clairement plus difficile de lever des fonds dans les douze prochains mois que les douze derniers. Et les valorisations seront plus basses.
Gauthier : Je nuancerai en précisant qu’on ne demande pas forcément de viser la rentabilité, mais que si ça se passe mal, cela reste un objectif sain. Pour ce qui est de l’aspect facilité à lever du capital, il faut savoir que la plupart des fonds sont fermés et ont donc une période d’investissement délimitée. Cela signifie qu’à l’heure actuelle, il y a encore beaucoup de fonds qui ont des liquidités à investir. Il y a toujours eu des cycles bas et des cycles hauts. La période que nous traversons est donc sans doute un point d’entrée intéressant.