Pouvez-vous nous parler de votre parcours entrepreneurial ?
Lorsque je me suis lancé dans des études d’ingénieur industriel à l’Institut Gramme, je n’avais pas pour objectif de devenir entrepreneur. En fait, le goût pour l’entreprenariat est venu progressivement au cours de mes études et mon début de carrière.
Diplômé en 2009, j’ai rejoint l’Université de Liège en tant que chercheur sur 2 projets : un pour développer le 1ersatellite de l’Université de Liège et l’autre pour développer un système de détection de la somnolence. Après 1 an, j’ai pris en charge la coordination du projet de détection de la somnolence tout en ayant l’ambition de le commercialiser. En parallèle du projet, j’ai effectué un Executive Master en management pour me préparer à la création de la spin-off.
En décembre 2014, après 5 années de recherche et développement, nous avons créé Phasya sur base d’un premier prototype pour détecter la somnolence qui restait à améliorer. Il était temps de nous confronter à la réalité du marché et de mettre le projet dans une autre dynamique que celle d’un labo universitaire. Fin 2015, nous avons signé notre 1er client, une université japonaise.
Nous avons effectué deux augmentations de capital en 2016 et 2018, notamment avec BeAngels et SCALEFUND I. En 2019, nous avons été approchés par un équipementier automobile qui envisageait de nous racheter pour accélérer le développement d’un système de surveillance du conducteur. Cependant, après plusieurs mois de discussions et avoir effectué le due diligence, cet équipementier a changé sa stratégie en abandonnant le développement du système et donc le projet d’acquisition également. En 2021, après l’échec d’un 2e projet d’acquisition par un des leaders dans notre domaine, nous avons finalement revendu Phasya à Tobii, un groupe suédois qui est le leader mondial des systèmes de suivi du regard (eye-tracking).
A présent, je suis Director Business Development chez Tobii, principalement pour le marché automobile. Je m’occupe également d’autres projets hérités de Phasya.
Quels sont les plus grands défis auxquels vous avez été confrontés dans votre carrière et comment les avez-vous surmontés ?
Le premier challenge a été de développer une technologie à partir de 0 sans aucune expérience en R&D, ni réel encadrement/coaching dans cette phase. Nous avons donc énormément appris par nous-mêmes, ce qui nous a fait perdre beaucoup de temps et de ressources.
Ensuite, nous avons été confrontés à la réalité de l’entreprise et du marché. Ici encore, nous n’avions aucune expérience en sortant de notre labo universitaire. Cependant, nous avons bénéficié de coaching, notamment du WSL, de nos administrateurs et du Réseau Entreprendre. Nous avons également travaillé avec des commerciaux en freelance pour le secteur automobile. Malgré cet encadrement, notre manque d’expérience personnel du monde de l’entreprise et du développement commercial a sans doute été un frein significatif dans le développement de Phasya. Il nous a fallu plusieurs années pour commencer à combler ce manque d’expérience et également trouver notre positionnement stratégique.
L’équipe a constitué un énorme défi. Chaque personne est clé dans une petite équipe et les erreurs de casting peuvent avoir des conséquences dévastatrices pour le projet. Nous avons commis des erreurs de casting, mais également de management. Nous avons bénéficié du soutien de nos administrateurs pour gérer certaines situations. Après quelques années nous avons également décidé de travailler avec Anthé, une société spécialisée en RH, ce qui nous a progressivement permis de prendre plus de recul et réaliser certains changements à différents niveaux.
La crise du COVID a été particulièrement difficile à surmonter à différents points de vue. En 2019, nous avions commencé à développer notre nouveau positionnement et cela commençait à porter ses fruits, nous avions de plus en plus de traction du marché. Début 2020, plusieurs projets étaient en discussion avec l’industrie automobile. Ensuite, l’industrie automobile a été touchée de plein fouet par la crise et la plupart des projets en discussions sont tombés aux oubliettes. C’est en partie cette crise qui a mené au rachat de Phasya par Tobii.
Comment êtes-vous devenu impliqué avec BeAngels et quelle a été votre expérience de travail avec le réseau en tant qu'entrepreneur ?
J’ai eu une excellente expérience avec BeAngels. Certains membres ont vraiment joué un rôle « d’ange » : ils étaient là pour nous aider avec bienveillance et humilité. Ils nous respectaient énormément, ils ne voulaient pas prendre les décisions à notre place ou pousser leur vision ou leur manière de faire. Je pense que sans le soutien de certains business angels et actionnaires, on aurait peut-être baissé les bras en cours de projet.
Ensuite, SCALEFUND I nous a également accompagné et a effectué un énorme boulot. Les membres du réseau et SCALEFUND I se sont bien complétés. Autant pour l’investissement financier que pour l’investissement personnel de certaines personnes qui a été bien au-delà de ce qu’on aurait pu imaginer en les faisant entrer au capital.
Qu'est-ce qui vous a amené à passer du statut d'entrepreneur à celui d'investisseur ?
Je ne dirais pas que je suis passé d’entrepreneur à investisseur. Je me sens toujours entrepreneur et je pense qu’être investisseur peut également être une forme d’entrepreneuriat. En fait, je suis toujours très intéressé par le milieu de l’entrepreneuriat et il y a différentes manières de s’y investir. Devenir investisseur dans des start-ups me permet de continuer à apprendre, de rencontrer de nouvelles personnes et de contribuer à des nouveaux projets. Le fait que le réseau BeAngels et le fonds SCALEFUND I aient joué un rôle majeur dans Phasya est également une des raisons pour rejoindre BeAngels.
En conclusion, l’envie de revenir dans l’entrepreneuriat, de continuer à apprendre, soutenir de nouveaux projets et l’intérêt de diversifier mes investissements m’ont poussé à devenir investisseur.
Quelles qualités recherchez-vous dans les investissements potentiels ?
Je n’ai pas de critère strict. Il y a toujours un peu d’émotionnel, mais ma décision se base sur une combinaison de différents critères pour les projets présentés chez BeAngels.
Je suis plutôt intéressé par des projets en démarrage qui ont déjà un peu démontré de traction sur le marché sans pour autant être dans la phase de scale-up.
Le parcours des fondateurs, la relation entre eux, le risque qu’ils prennent dans l’aventure au côté des investisseurs et leur état d’esprit sont des points d’attention très importants. Pour moi, c’est également essentiel de créer un climat de confiance et une communication transparente entre les fondateurs et les investisseurs.
La capacité de l’équipe et du projet à pivoter est une qualité clé. Le monde et les marchés évoluent très vite, il faut pouvoir s’adapter très rapidement.
Bien que je sois plutôt porté sur l’ingénierie, je suis assez ouvert à différents secteurs. Cependant, je ne souhaite pas investir dans des projets où je ne peux pas comprendre le produit/marché ou la valeur qu’il apporte sur le marché. D’ailleurs, je suis actuellement sur un dossier pour lequel je fais appel à un ami qui est spécialisé dans le secteur pour m’aider à évaluer le potentiel du projet.
Enfin, il y a peu de chance que j’investisse dans un projet dans lequel je n’apporte aucune valeur ajoutée en dehors de l’investissement financier.
Est-ce que votre expérience d'entrepreneur influence-t-elle votre approche de l'investissement et comment évaluez-vous le potentiel d'une start-up ou d'une entreprise ?
Mon expérience d’entrepreneur m’a sans doute apporté plus de pragmatisme et de réalisme que par le passé car j’ai vécu en détails différents défis auxquels peuvent être confrontés les fondateurs d’une start-up.
Actuellement, je n’ai aucune expérience en tant que simple investisseur dans une start-up, je suis en phase d’apprentissage. Parmi mes éléments d’évaluation, je peux notamment citer l’équipe, la proposition de valeur et de son potentiel commercial, la vision, le potentiel de croissance à l’international, les opportunités d’extension de l’offre sur d’autres marchés/applications, l’IP. Au cours de mon évaluation, c’est également clé pour moi d’échanger sur le projet avec différentes parties prenantes.
Ce n’est pas évident d’évaluer le potentiel d’un projet, non seulement car il y a beaucoup de facteurs, mais aussi car ce qui est vrai aujourd’hui ne l’est pas forcément demain.
Quels conseils donneriez-vous aux aspirants entrepreneurs qui souhaitent créer leur propre entreprise ?
Il y en a beaucoup, mais je souhaite mettre en avant 2 principes : « restez focus » et « assurez une base solide au niveau de l’entourage proche ».
- Concentrez-vous sur vos clients, passez un maximum de temps avec eux. Faites tout ce que vous pouvez pour vous mettre dans leur peau et comprendre comment répondre à leurs besoins.
- Restez pragmatiques et concentrez-vous sur ce qui peut vous faire rapidement passer votre projet à l’étape suivante. Il faut au mieux utiliser les (souvent maigres) ressources à votre disposition – votre temps et votre énergie en font partie… On peut vite se disperser sur des activités qui n’apportent pas de réelle valeur ajoutée au projet.
- Discutez avec votre famille, compagnon ou compagne pour qu’ils aient bien conscience de ce que votre projet implique comme investissement personnel et assurez-vous de leur soutien.
- Essayez de bien connaitre vos co-fondateurs et assurez-vous que les attentes et responsabilités de chacun soient claires.