Nous avons eu le plaisir d'interviewer Astrid Waucquez, Credit Risk Manager dans une institution financière et juge consulaire. Il y a deux ans, elle a décidé de rejoindre BeAngels et de découvrir le monde passionnant des startups...🌍
Il y a-t-il moins de femmes business angels ?
De ma génération, j’en connais peu personnellement, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y en a pas, loin de là ! Il y a plusieurs aspects à considérer : l’âge en est un, mais nos sociétés évoluent et d’ailleurs il suffit de regarder les start-ups et les entreprises plus matures et vous reconnaîtrez un nombre de plus en plus important de femmes ayant des rôles déterminants (voyez BeAngels !) ; c’est vrai aussi pour l’investissement au sens large et donc aussi pour les business angels en général. Il y a d’ailleurs des réseaux de femmes Business Angels ; dans certains pays, c’est très développé. Les femmes seraient-elles moins enclines à se lancer dans l’investissement à risque ? C’est un peu culturel je pense et cela reste une généralité. Dans le réseau, il y a des femmes très expérimentées et actives depuis longtemps. Il faut toutefois rester réaliste et ne pas oublier qu’il faut un peu d’économies pour investir, mais cela, c’est vrai pour tout le monde. Il y a en outre les compétences, le partage des informations, les relations, l’analyse. A mon sens, l’expérience que l’on peut apporter n’a pas de genre !
Est-il plus risqué d’investir dans des startups à l’heure actuelle ?
On parle de capital à risque, mais aujourd’hui tout ce que l’on place est à risque ! Notre économie est en train de basculer : nous sommes à l’aube d’une période inflationniste, les bourses chutent, les taux risquent de monter fortement. L’alimentation de certaines chaînes d’approvisionnement est perturbée sans parler des événements géopolitiques majeurs et du problème de l’énergie. Nous entrons dans un monde volatile avec des cycles beaucoup plus courts. Tout se bouscule, mais cela ne doit pas remettre en question le fait qu’il faut s’intéresser aux nouvelles sociétés et ce, plus que jamais, je pense ! Nous changerons notre mode de fonctionnement et notre façon de penser. À ce titre, l’intérêt qu’on porte aux entreprises qui démarrent et innovent est primordial. C’est une participation obligatoire à l’économie, surtout lorsqu’elle est en mutation. Il y a de nouvelles exigences, plus écologiques, plus sociales. Le risque y est, mais les opportunités aussi !
Peux-tu nous en dire plus sur ton background professionnel ?
Je suis ingénieur agronome de formation. J’ai commencé ma carrière dans le monde bancaire, plus précisément chez ING où j’ai exercé plusieurs fonctions pour ensuite rejoindre une autre institution, toujours dans le secteur financier, mais active dans le domaine de l’infrastructure et l’asset servicing notamment. En apparence, c’est assez classique, mais cela m’a permis de passer du service bancaire traditionnel aux entreprises qui est centré principalement sur le crédit vers des métiers plus techniques comme la titrisation, la gestion des instruments de taux dans les sicav puis le risk management. Ma carrière fut émaillée de réponses à des exigences familiales et des souhaits de formation, en passant par l’expatriation. C’est ainsi qu’au cours des années, en parallèle à ma vie professionnelle, j’ai pu vivre à Hong Kong et y commencer des études de mandarin. J’ai obtenu un master de 3e cycle en gestion des risques financiers en 2008 à l’Université Saint-Louis, et plus récemment en 2020, j’ai suivi le programme en immobilier de la Solvay Business School. A chaque fois, il s’agissait de périodes de transition : en Asie, nous étions dans une atmosphère liée à la Chine en fulgurante expansion ; au cours de la crise financière de 2008, nous avons pu observer la déroute de nos institutions bancaires plongées dans une effroyable crise de liquidités quasi au moment même de notre formation, de quoi fabriquer un formidable case study ! Quant au programme en immobilier, il a démarré 5 mois avant la crise du Covid et l’on a vu qu’on pouvait aussi travailler et se former jusqu’à 100% en ligne. Cela paraît une évidence aujourd’hui, mais curieusement, ce n’était pas vraiment le cas il y a 2 ans… Je suis également Juge Consulaire au tribunal d’entreprises et Commissaire aux faillites. Tout cela amène l’expérience et les compétences qui en découlent se forgent principalement au contact des personnes et des événements.
Es-tu fort impliquée dans le réseau ?
J’ai commencé dans un premier groupe d’investisseurs (BAC) en 2020 et je poursuis dans un deuxième BAC (Business Angels Club). C’est une formule qui permet aussi de participer à la « BeAngels Academy », c’est-à-dire de suivre une série de 8 cours donnés par des angels expérimentés et couvrant le cycle d’investissement en expliquant les étapes clé de la sélection, de la valorisation, du suivi, du pacte d’actionnaires jusqu’à l’exit.
Mais oui, je me suis beaucoup investie dans certaines due diligence (analyse de projets) après des séances de pitch de startups. J’ai rédigé des rapports et donné mon opinion aux autres membres et ça m’a pris un certain temps. J’ai travaillé tard le soir devant mon ordinateur, mais je trouve que c’est essentiel d’en réaliser plusieurs quand on se lance en tant qu’investisseur. Sinon, on ne fait que suivre des avis.
A quoi faut-il veiller lorsqu’on investit en groupe ?
Lorsqu’on investit via un groupe, il faut veiller à garder sa personnalité et c’est un exercice beaucoup plus difficile qu’il ne paraît ! Il faut se demander si en solo, on aurait effectué cet investissement. Il ne faut pas craindre d’être en opposition par rapport à l’idée dominante. Je me pose toujours la question de ce que je peux apporter car même là où on croit connaître son secteur, on est novice ! Il y a bien-sûr la contrainte de la disponibilité et certaines contingences ne permettent pas par exemple de se porter dans l’immédiat candidat administrateur dans une entreprise en démarrage, mais ceux qui peuvent le faire suivent l’évolution pas à pas et y jouent un rôle actif, vraisemblablement pour plusieurs années. C’est donc bien davantage qu’un simple investissement financier. Si l’on a moins de temps ou pour des raisons de diversification, on peut investir via d’autres formules comme les SIBA ou ScaleFund ce qui permet en outre d’obtenir éventuellement davantage de déduction fiscale « Tax Shelter » ou d’orienter ses fonds vers des entreprises à un stade plus avancé.
Comment perçois-tu l’activité de business angel ?
C’est une aventure de longue durée, qui est passionnante et je n’en suis qu’à mes débuts. La formation, oui, mais il y a tout ce qu’on va vivre. On ne parle pas assez du suivi car une fois qu’on a choisi et mis un peu d’argent, on n’est qu’au début. C’est en soi tout un apprentissage. Un patron de banque m’a dit un jour « la seule façon de vraiment comprendre, c’est de le faire ». Et c’est vrai. Mon travail m’a permis d’exercer mes capacités d’analyse, de jugement, de décision ; j’ai déjà fait des due diligence poussées, notamment en structuration obligataire, mais il y a tous les autres aspects : concurrence, plan financier, équipe, thèmes, scalability, mais surtout, il faut comprendre le business model, la manière dont fonctionne ou va fonctionner l’entreprise, si elle a une chance de valider son idée.
Et puis, il y a la négociation une fois qu’on décide d’investir. Tout cela demande beaucoup de rigueur et un certain effort. Je suis contente de me passionner pour tout cela et je vois aussi une formidable dynamique de groupe. Les profils des participants sont multiples ; Il y a ceux qui sont entrepreneurs, ceux qui dirigent, ceux qui sont spécialisés dans un domaine, ceux qui ont une carrière internationale ou non et surtout tous les âges et parcours. Les plus jeunes aident à découvrir ce que pourrait être la société de demain, mais tous apportent leurs idées. Ce mélange de générations et de styles est très inspirant.
Selon toi, il y a-t-il une condition pour devenir business angel ?
Il faut être curieux. Ce qui est mon cas. J’ai toujours aimé exercer différentes activités, me plonger dans des métiers pour lesquels je n’étais pas formée. Il faut je pense avoir un peu de temps à consacrer et aussi un peu d’argent (pas nécessairement beaucoup d’ailleurs), mais le but n’est pas de risquer toute son épargne. Chacun doit sentir ce qu’il peut engager et je pense qu’il faut rester modéré. L’expérience et les compétences personnelles sont plus que bienvenues ; certaines entreprises débutantes ont les fonds ou moins de difficulté à en trouver, mais cherchent des conseils et des appuis. Je pense aussi qu’à l’inverse, il faut oser se dire que même sans être un grand patron ou avoir fait une carrière exceptionnelle, on peut se lancer, avoir un peu d’audace et d’humilité à la fois. On joue souvent un rôle insoupçonné au moment des décisions.
Que dirais-tu aux femmes qui hésitent à se lancer ?
Je n’aime pas faire ce qu’on appelle du « genrisme », mais je pense que les femmes sont curieuses de nature et en général, ne le manifestent pas assez. Nous avons sans doute globalement une petite timidité à montrer nos talents car on vit avec un historique sociétal un peu corseté. Mieux vaut ne pas trop s’en appesantir et aller de l’avant. Le développement, la création et les défis qui nous attendent ne pourront pas être rencontrés si on ignore plus de 50% de l’humanité et donc moi je dis, foncez si vous avez une passion, si vous voulez démarrer une activité ou gérer vos affaires, devenir business angel est une excellente porte d’entrée.
Même si elles ne sont pas majoritaires, je vois dans nos groupes de jeunes mamans avec enfants, un job full time et qui vous disent « il vaut mieux s’intéresser à ce type d’investissement trop tôt, que trop tard ». C’est donc que la prise de conscience y est et on le répète, on ne doit pas nécessairement consacrer beaucoup d’argent. De plus, il n’y a pas de hiérarchie. L’atmosphère est conviviale et on peut dire que quel que soit le parcours ou le statut, on peut tous avoir raison ou non au moment des décisions. Une chose est sûre, on se serre les coudes car c’est un vrai partenariat et une plongée dans un écosystème fantastique qui bouscule les évidences et les acquis. Alors, si vous hésitez, il vaut mieux tenter !